Les cristaux de vent
Éviter de battre trop longtemps : un battage prolongé de
blancs d’œufs conduit à des mousses moins gonflées et moins
résistantes.
Ajouter aussi , comme Verlaine, un « frisson d’eau sur (de)
la mousse ».

Sachons décoder. Lorsque qu'une revue à pour titre :
Strutural and Rheological Properties of Aerated High Sugar
Systems Containing Egg Albumen, il faut entendre qu’il
s’agit de meringues.
Dans le Journal of Food Science, les physico-chimistes
britanniques K.Lau et E. Dickinson étudient les
caractéristiques des mousses de sirop de sucre et de
protéines du blanc d’œuf en fonction des concentrations en
protéines et en sucre, et du temps de battage.
La qualité de la meringue dépend de ces caractéristiques que
nous examinons ici.
Indispensables pour ce qu’elles ne sont pas
Les mousses intéressent le cuisinier : elles permettent, par
contraste, de mieux percevoir en bouche la texture d’une
masse dense et favorisent la perception des odeurs (dans
l’air des bulles, les molécules odorantes sont +
accessibles).
L’industrie alimentaire trouve aux mousses des vertus : le
gaz dans les mousses réduit la quantité de matière. On vend
du vent !
Une mousse est une dispersion de bulles de gaz dans une
phase liquide.
Les protéines telles celles du blanc d’œuf battu en neige,
dispersent et diffusent à l’interface air-eau ; leurs
parties hydrophiles plongent dans l’eau, leurs parties
hydrophobes émergent dans l’air. Elles réduisent ainsi la
« tension de surface » ; l’énergie nécessaire pour créer les
interfaces diminuant, l’aire de l’interface augmente et le
volume de bulles aussi.
Les protéines nommées globulines réduisent fortement
l’énergie de surface ; l’ovomucoïde et les globulines
retardent le drainage du liquide entre les bulles (ce qui
pérennise les bulles), en raison de la viscosité qu’elles
confèrent au blanc ; le lysozyme forme des complexes avec l’ovomucine
et les autres protéines, ce qui renforcent les interfaces.
Au total, les bulles d’air sont emprisonnées dans une
enveloppe rigidifiée.
E. Dickinson et K. Lau ont étudié les concentrations en
sucre élevées, telles que celles des meringues ou des divers
produits aérés de confiserie. Le sucre accroît la viscosité
d'un liquide, ralentit ainsi le drainage (stabilise les
mousses) et réduit la taille des bulles en modifiant
l’énergie de surface.
Les effets du sucre hors de la bouche
À des sirops de sucre portés à une t° d’environ 70°c, ils
ont ajouté des concentrations variées de poudre de blanc
d’œufs (2, 4, 6, 8 et 10 %), afin d’obtenir des solutions
qu’ils battaient en neige. Ils ont mesurés la viscosité, le
volume et la taille des bulles, et, en ajoutant un colorant
spécifique, révélé la constitution des films de protéines.
Pour les échantillons contenant peu de protéines (2 et 4%)
la densité des mousses diminues pendant les 10 premières
min. de battage, puis le foisonnement cesse.
Aux concentrations supérieures en protéines (6, 8 et 10%),
la densité diminue pendant les 5 premières min. de battage,
atteint un minimum, puis réaugmente.
Au début du battage, le foisonnement est le fait de grosses
bulles.
Ensuite, la taille des bulles diminue quand le fouet les
divise, sans que de nouvelles bulles soient crées.
La poursuite du battage dénature l’ovalbumine, ce qui
augmente l’épaisseur des couches à la surface des bulles, et
les protéines y réticulent.
Finalement, on obtient ce que les pâtissiers nomment le
grainage, c’est à dire l’apparition de particules
insolubles. Les mousses formées avec de fortes
concentrations en protéines sont plus fines, plus denses et
plus rigides (les films à l’interface sont plus épais).
La viscosité des mousses dépend aussi du temps de battage :
plus il est long, plus les mousses sont visqueuses,
probablement parce que des protéines de plus en plus
nombreuses s’adsorbent aux interfaces.
Pour les mousses à 4% de protéines, le comportement est
différent : le cisaillement coagule les protéines en
complexes insolubles, ce qui réduit la viscosité.
Aux concentrations encore supérieures en protéines (4 à
10%), la fluidification est encore plus nette lorsque le
battage augmente : les protéines coagulent davantage,
conduisant à des films plus aptes à se rompre.
De surcroît, les physiciens ont observé que le sucre
recristallisait lors du cisaillement, les protéines servant
probablement de germes de nucléation : ces cristaux
dégradent la mousse en rompant les parois des bulles.
Muni de ces analyses, que fera le cuisinier ?
L’on proposera des meringues "allégées", obtenues par
ajout d’eau à du blanc d’œuf, ce qui réduit la concentration
en protéines et forme une mousse bien plus délicate.

la mousse sera cuite à four très doux
afin que le blanc
coagule avant que l’eau ne s’évapore : ainsi s’obtiennent
des "cristaux de vent" délectables et diététiques,
conjugaison rarissime ! |