Des études récentes (2010 & 2011) montrent que des facteurs tels que la perception visuelle des portions, l'image qualitative des produits et les allégations nutritionnelles et de santé peuvent inciter les consommateurs à absorber plus de calories qu'ils ne le pensent... ou le souhaitent.
Elles ouvrent de nouveaux champs de réflexion dans la lutte contre les déséquilibres alimentaires...
« Lorsqu'on cherche à perdre du poids, ce que l'on mange est plus important que combien on en mange. »
Cette opinion affirmée par 78 % des Américains, et partagée par les
consommateurs français, éclaire l'engouement actuel pour la
nourriture "basse calorie" et les produits dits "allégés".
Pourtant, paradoxalement, malgré la spectaculaire progression des
ventes de ces produits, les courbes du surpoids et de l'obésité
restent orientées à la hausse.
Serait-ce lié au fait que, comme aux
États-Unis, 54 % des consommateurs finissent leur assiette, quelle
que soit la quantité de nourriture qu'elle contient ?
C'est pourquoi
certains experts, à l'image de Pierre Chandon, spécialiste en
Psychologie alimentaire et professeur de Marketing à l'Insead,
militent aujourd'hui pour le renforcement des études portant sur les
écarts entre quantités perçues et celles réellement absorbées :
"nous commençons seulement à explorer dans quelle mesure les
décisions alimentaires sont fortement conditionnées par des
illusions d'optique conjuguées à des facteurs comportementaux ou
psychologiques perturbateurs et difficiles à contrer.".
De fait, en interrogeant des consommateurs sur leur perception du
nombre de calories apportées par un repas ou un produit, les
chercheurs sont allés de surprise en surprise. À ce jour, ils ont
mis en évidence 3 biais essentiels qui faussent la perception :
Les illusions d'optique sur la taille des portions.
Le jugement personnel sur le caractère "bon" ou "mauvais" des aliments.
Les allégations portées sur les emballages forment ainsi un cocktail conduisant à des estimations erronées, quasi systématiques et inconscientes, qui incitent le plus souvent à consommer beaucoup plus qu'imaginé.
La vue joue les faux amis
Pour estimer le poids ou le volume des aliments,
pour ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre, les individus
s'appuient sur ce qu'ils voient : le volume des portions, la taille
des conditionnements.
Mais leurs yeux sont peu experts à évaluer les
proportions.
Les illusions d'optique, à l'image du phénomène
Delbœuf ,
conduisent ainsi à des erreurs significatives. Par exemple, explique Pierre Chandon, "à contenance identique, une cannette de tel soit drink est jugée contenir davantage de boisson qu'une de telle autre marque, parce qu'elle est plus haute et moins large. À l'inverse, un verre plus large et plus bas est perçu comme moins plein.".
À l'achat, les consommateurs choisissent les
packagings et portions "visuellement" les plus grandes, perçues
comme plus économiques. Là encore, l'estimation des calories
contenues dans le produit varie selon la forme : si le format est
simplement allongé par rapport au standard, la sous-estimation des
calories contenues est moins importante que si le format est agrandi
à la fois en hauteur et en largeur.
Conséquence : le consommateur
est moins à même de se rendre compte des calories qu'il absorbe
lorsqu'il achète un format agrandi en 3 dimensions - voir
ci-dessous.
De même au niveau de l'assiette : dans les
esprits, une double portion de frites au lieu d'une simple semble
apporter seulement 50 % de calories en plus au lieu de 100 %...
Cette
sous-estimation de l'accroissement réel de la taille des portions
fait que les calories perçues d'un repas pris dans un restaurant
rapide sont proches de la réalité pour les petits repas (petit
déjeuner, collation), avec une erreur d'appréciation de seulement de
0,6 %, contre une sous estimation 34,6 pour les grands repas
(déjeuner, dîner). Ainsi, un repas de 1 500 calories est
sous-estimé en moyenne à 800 calories.
Contrairement à ce que pensaient les nutritionnistes, les personnes
en surpoids ou obèses ne sous-estiment pas davantage les calories
que les autres.
En effet, si on demande à des consommateurs à faible
ou à fort indice de masse corporelle (IMC) d'estimer le nombre de
calories d'un même repas, ils répondent avec la même marge d'erreur.
C'est donc seulement parce que les individus en surpoids ont
tendance à commander des repas plus conséquents qu'ils sous-estiment
le plus les calories absorbées.
Enfin, un large choix visuel conduit
à consommer des quantités plus importantes. Un restaurant américain
propose 4 tailles de soda : 35, 47, 62 et 94 cl. Si l'on
supprime de la carte le plus petit format (35 cl), 94 % des clients
qui choisissent d'habitude le gobelet de 35 cl commandent quand même
une boisson, et 33 % de ceux qui choisissent d'habitude le gobelet
de 47 cl optent pour celui de 62 cl (qui est la nouvelle taille "moyenne") plutôt que rester avec celui de 47 cl (qui apparaît
désormais comme la taille "petite" ).
Les consommateurs semblent
donc loin d'être capables d'ajuster les apports caloriques de la
journée aux dépenses énergétiques en se fiant à leurs yeux. D'autant
plus, qu'à ces illusions d'optique, s'ajoutent d'autres facteurs.
Le "halo santé" un mirage des temps modernes
La perception de la qualité nutritionnelle d'un
produit ou d'un ingrédient intervient également : les calories des
produits jugés "bons" sont systématiquement sous-estimées, celles
des "mauvais" surestimées. Une mini barre chocolatée (470 kcal)
est perçue comme plus calorique qu'une salade composée de fromage,
carottes et poires (569 kcal)6. Il peut suffire à un restaurant
d'être positionné comme "diététique" pour que le repas semble
allégé en calories. De même, une allégation santé portée sur un
emballage de produit peut avoir une influence considérable comme
l'atteste une autre étude.
À droite, 284 g de bonbons chocolatés ; à gauche, 284 g de muesli,
considéré comme meilleur pour la santé ». Pour la majorité des
personnes testées, le nombre de calories du Muesli est sous-estimé
de 28 % alors qu'il est surestimé de 9 % pour les bonbons. Si la
mention, "à faible teneur en matière grasse" est ajoutée sur les
deux paquets, l'effet est encore plus spectaculaire : les calories
perçues chutent de 26 % pour le muesli et de 18 % pour les bonbons -
voir ci-dessous.
Un phénomène que les spécialistes appellent aujourd'hui l'effet de « halo lié aux allégations nutritionnelles et de santé. Un halo trompeur et non sans conséquences dans la mesure où il favorise une surconsommation involontaire car, comme le note l'étude, les individus peuvent manger jusqu'à 50 % de plus d'un produit lorsque celui-ci arbore la mention, « à faible teneur en matières grasses ».
L'illusion des "bons" ou "mauvais"
aliments
Lorsque, au cours d'un repas, différents types de produits sont associés, la perception de la quantité calorique est encore plus brouillée avec des résultats qui peuvent friser l'absurde ! L'expérience consistant à proposer à des volontaires d'estimer le poids calorique de plats combinant des aliments jugés « bons » et « mauvais » est à cet égard édifiantes.
Estimée à 819
kcal, la combinaison cheeseburger et salade leur a semblé moins
calorique que le cheeseburger seul, estimé à
949 kcal. « C'est comme si la salade contenait des calories
négatives - ce qui est un non sens - car son ajout a fait baisser
les calories perçues du cheeseburger ! »,
commente Pierre Chan-don. D'autres études des mêmes auteurs ont mis
en évidence que cet effet des
calories négatives » était
d'autant plus fort que l'aliment rajouté était perçu comme bon pour
la santé ».
Autrefois, les grand-mères savaient intuitivement quelles quantités
servir à chacun. Aujourd'hui, les références anciennes ont disparu
dans un contexte où la taille des portions proposées est très
variable et où l'offre est très segmentée.
Des tentatives
apparaissent pour redonner des repères. En croisade contre
l'obésité, le gouvernement américain va imposer la mention des
calories pour tous les aliments dans les chaînes de restaurant.
Les
consommateurs pourront constater qu'il y a 2 fois plus de
calories dans un grand soda par rapport à un moyen. Selon Pierre Chandon,
« cette démarche est positive car elle pourrait inciter une
partie d'entre eux à choisir les plus petites portions. »
Redonner des notions de quantités, réintroduire des petits formats,
réfléchir plat par plat et non pas par menu complet apparaissent
comme les idées à creuser pour une meilleure estimation des
quantités.
Savoir "combien est trop" pour ne pas se laisser influencer par
l'environnement marketing et publicitaire pour, au final, mieux
adapter les apports alimentaires aux dépenses :
une piste à
explorer...
surtout pour les consommateurs qui ont tendance à rester sourds aux signaux internes de faim et de rassasiement...
2011